Jean Peyrelevade, de nouveau membre du PS, a été interviewé par Béatrice Mathieu de l’Express.
Pour l’ancien banquier Jean Peyrelevade, redresseur du Crédit Lyonnais, le déclin de l’économie française tient à son incapacité à mettre en place un dialogue social apaisé.
Il a l’âge de ceux qui n’ont plus grand-chose à perdre à « l’ouvrir ». D’ailleurs, il vient de reprendre sa carte au Parti socialiste. En ce début de printemps, Jean Peyrelevade, qui fut le conseiller économique de Pierre Mauroy, au moment du tournant de la rigueur, en 1983, métamorphosé plus tard en banquier et redresseur du Crédit lyonnais, se lâche.
Il vient de publier Changer ou disparaître aux éditions de l’Observatoire. Un essai dans lequel il dénonce l’état de déliquescence du dialogue social en France, responsable selon lui de la perte de compétitivité de l’économie française. Il renvoie dos à dos responsables syndicaux et patronaux enfermés dans un syndrome de lutte des classes suicidaire et attaque l’Etat, incapable de partager son pouvoir. Entretien avec un sniper du capitalisme français.
« En France, l’autorité ne se partage pas »
Alors que le climat social se tend, vous publiez un essai dans lequel vous affirmez que la société et le capitalisme français sont encore traversés par la notion de lutte des classes, ce qui pèse structurellement sur notre économie. Comment expliquez-vous la persistance de ce « syndrome »?
Ce phénomène est clairement lié à notre conception du pouvoir. En France, l’autorité ne se partage pas. C’est le symbole du monarque au temps de la royauté, devenu le monarque républicain aujourd’hui -lequel affirme d’ailleurs tranquillement que son pouvoir est d’essence jupitérienne! Dans l’entreprise, le pouvoir s’exerce donc à l’image du monde politique.
Le chef d’entreprise, surtout quand il est le propriétaire de sa société, considère qu’il ne doit -et ne peut- le partager avec personne. De fait, nous baignons encore dans un climat de lutte des classes idéologique avec une opposition permanente entre les dirigeants et les dirigés, les dominants et les dominés, les exploitants et les exploités… les patrons et les salariés.
Pour des esprits français, ce que je viens de dire est presque banal, une évidence. Mais ce dont l’opinion publique, les médias, les patrons, les syndicalistes ne se rendent pas compte, c’est que ce modèle français, qui se prétend universaliste, est en réalité très singulier. Dans toute l’Europe du Nord, la relation au pouvoir est complètement différente.
On m’a souvent demandé comment je pouvais être un patron de gauche. Comme si ces deux notions -« chef d’entreprise » et « de gauche »- étaient antinomiques. Ce clivage profond domine notre vie économique. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’un exercice collectif de l’autorité.
Voyez-vous poindre les germes d’un conflit social majeur à l’image de celui de décembre 1995 ?
Je n’y crois pas. Pour une double raison. D’abord, parce que le pays est encore sous le charme d’Emmanuel Macron et, ensuite, parce que nous sommes dans une conjoncture économique porteuse pendant encore un an ou deux ans. En revanche, un certain nombre d’acteurs cherchent l’occasion de fabriquer du conflit explicite. C’est vrai sur le terrain politique avec Jean-Luc Mélenchon, qui a fait de la recherche du conflit une marque de fabrique, une manière d’être. C’est vrai aussi de certains partenaires sociaux. Pour autant, la méthode Macron est contestable.
ANALYSE >> La France est-elle vraiment la championne du monde de la grève?
L’Etat, en position d’autorité -à la fois politique et économique en tant qu’actionnaire de la SNCF -, s’est peu préoccupé de la recherche d’une position commune en amont de la réforme et a « balancé » son plan sans concertation. En réaction, la CGT en première ligne -mais elle n’est plus la seule- s’est réfugiée par posture dans le conflit. Nous nous retrouvons bien dans la situation où le détenteur du pouvoir décide seul. En face, l’unique réponse,